Filles d’Afghanistan – de Nadia Andjuman
Nadia Anjuman (1983 – 2005)
Autrice et poétesse. Entre 1996 et 2001, sous le régime taliban, elle fait partie d’un cercle clandestin de femmes étudiant la littérature sous la direction du professeur Nasser Rahiyab. Par la suite elle s’inscrit à l’université et publie en 2004 un recueil de poèmes, Gul-e-dodi (Fleur rouge sombre) vendu à près de 3 000 exemplaires, un best-seller dans ce pays. Elle meurt le 5 novembre 2005 à l’hôpital de Herat, après avoir été battue par son mari dans leur appartement.
Je n’ai aucun désir d’ouvrir la bouche. Que réciterai-je ?
Moi qui demeurera méprisée de mon époque, quoique je récite ou pas
Comment chanterai-je le miel ? Sur ma langue, il est devenu poison –
que soit maudit le poing du tyran qui a écrasée ma bouche
Béni soit ce monde où personne ne partage ma douleur
Que je pleure ou que je rie, que je vive ou que je meure.
Moi et cette prison ; ma longue attente au coin du rien.
Je suis née par futilité, née uniquement pour être réduite au silence.
Cœur ! Je sais que le printemps et sa joie sont eux aussi passés
Mais comment pourrais-je voler avec ces arnaques d’ailes ?
Malgré le silence toutes ces années, j’ai écouté attentivement ;
Mon cœur murmure toujours son chant, donnant naissance à de nouveaux à chaque instant.
Un jour, je pulvériserai cette cage, cette solitude extrême
Je boirai le vin de la joie, je chanterai comme le font les oiseaux au printemps
Bien que semblable à l’arbre aux membres délicats, je ne tremblerai pas à la moindre brise
Je suis une fille d’Afghanistan – je ferai entendre mon faghan*, le clamerai pour l’éternité.
*Le faghan est un poème de lamentation
La chute de Kaboul – Farzaneh Hashemi
Poétesse et autrice. Née en Iran en 1989, elle vit un temps en Afghanistan avant de s’installer en France, fin 2014. Parallèlement à la poésie, elle écrit également des nouvelles et des histoires pour enfants.
Une ville tombe et sombre dans le désespoir
Kaboul est toute entière capturée vivante
Hélas, filles de Kaboul
Une fois de plus condamnées à vivre dans l’ignorance et la colère
Dans l’effroi et la tristesse
En silence, toujours en silence
Une fois de plus, la captivité et l’exil
Une fois de plus, meurt et brûle Farkhunda [1]
Nous avions oublié que le phénix renait de ses cendres
Aujourd’hui, mille Fakhunda en sursis attendent
Une main tendue pour une vie sauve
Fakhunda n’est plus parmi nous
Mais ses filles demandent le droit à une vie libre.
[1] Farkhunda Malikzada était une enseignante en sciences islamiques, lynchée à mort par une foule d’hommes devant une mosquée pour avoir rappelé à un mollah autoproclamé qui y vendait des talismans que ces superstitions étaient contraires à l’Islam. Son corps a été mutilé, brûlé puis jeté à l’eau sans que la police, présente sur place, n’intervienne.
Je ne reviendrai jamais – de Meena Keshwar Kamal
1956-1987. Poétesse féministe afghane. Elle a fondé l’association Revolutionary Association of the Women of Afghanistan (RAWA) à Kaboul (Afghanistan) en 1977 : RAWA est une organisation de femmes afghanes luttant pour les droits de l’homme et la justice sociale en Afghanistan et pour donner la parole aux femmes afghanes réduites au silence dans leur pays. Réfugiée au Pakistan, elle y est assassinée en 1987 par des agents afghans du KGB.
Je suis la femme qui s’est éveillée
Je me suis levée et me suis changée en tempête balayant les cendres de mes enfants brûlés
Je me suis levée des ruisseaux formés par le sang de mon frère
La colère de mon peuple m’a donné la force
Mes villages ruinés et incendiés m’ont remplie de haine pour l’ennemi,
Je suis la femme qui s’est éveillée,
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais.
J’ai ouvert des portes closes par l’ignorance
J’ai dit adieu à tous les bracelets d’or
Oh compatriote, je ne suis plus celle que j’étais
Je suis la femme qui s’est éveillée
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais.
J’ai vu des enfants sans foyer, errant pieds nus
J’ai vu des promises aux mains tatouées de henné en habit de deuil
J’ai vu les murs géants des prisons avaler la liberté dans leurs estomacs d’ogres
Je suis ressuscitée parmi des gestes épiques de résistance et de courage
J’ai appris le chant de la liberté dans les derniers soupirs, dans les vagues de sang et dans la victoire
Oh compatriote, Oh frère, ne me considère plus comme faible et incapable
Je suis de toute force avec toi, sur le chemin de la libération de mon pays.
Ma voix s’est mêlée à celle de milliers d’autres femmes qui se sont levées
Mes poings se serrent avec les poings de milliers de compatriotes
Avec toi, j’ai pris le chemin de mon pays,
Pour briser toutes ces souffrances et tous ces fers,
Oh compatriote, Oh frère, je ne suis plus celle que j’étais
Je suis la femme qui s’est éveillée
J’ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais
Un rêve inachevé – de Safia Sediqi
Née en 1965. Poétesse, ancienne parlementaire et militante pashtoune. Elle lutte depuis plusieurs années pour la reconnaissance de la culture pashtoune. Elle fait partie des rares poétesses pashtounes à avoir été publiée en Afghanistan ces dernières années.
Combien était douce cette nuit !
Et combien heureuse !
Je me souviens encore quand tu es
Entré dans ma chambre
Sans même penser que, peut-être
On te pourrait voir dans ma chambre et t’en blâmer
Tu t’es assis sur le montant de mon lit
Et, d’effroi, ma langue est restée collée à mon palais
Toi, comme moi,
Tu brûlais comme une chandelle au milieu de la nuit
Et ne pouvais rien dire.
Seuls nos yeux étaient rivés l’un à l’autre.
Cœurs battants
Bouches fermées.
Alors nos yeux se mirent à parler
Nos cœurs à se dire des secrets
Je me plaignais de toi, tu te plaignais de moi !
Tout ne fût qu’une complainte ;
Complainte, les yeux. Complainte, les cœurs et les espoirs.
Nous nous sommes perdus dans les yeux l’un de l’autre.
Le chant du muezzin me tira du sommeil :
« Ô croyants, la prière vaut mieux que le sommeil ! »
Je m’écriai : « Certes, mais j’aurais aimé finir ce rêve »
Sur la tombe des bourgeons – de Leila Rochani
Oh ! combien éteint arriva le printemps
Blessé au dos arriva le printemps.
Les nuages, bouche sèche et sans bagage,
La braise de la haine dans la gorge,
La silhouette verte du jardin a brûlé
Les lèvres cousues d’un simple sourire
Il est vérolé, l’arbre.
A nouveau de la plaine la fournaise s’est levée,
La nuit vers l’œil de la lampe retournée.
A nouveau ce ciel est en deuil,
A nouveau ce jardin est en feu.
L’hirondelle à nouveau est tourmentée,
Conteuse d’élégies au champs des tulipes.
La verdure, dans les regards, étincelle,
Les yeux des bourgeons sont flous.
Le poème de la pluie a un air grave :
Il pleut sur la tombe des bourgeons
Les douleurs petit à petit s’échauffaient
Et le jardin, la demeure des corbeaux.
S’il est une porte dans la terre du cœur de ce printemps
Mon attente est incandescente de voir.
Qu’à nouveau la majesté de son miracle
Chante à nos oreilles sont secret
Jusqu’à ce que le calme souffle sur le cœur du jardin,
Son âme verte tournoie sur les marais salants.
Qu’à nouveau la pluie matinale du printemps
Sans vergogne élève les tulipes,
Qu’à nouveau mon printemps de douleur s’apaise,
Que de la tombe des bourgeons le jardin se lève.
Mort du Soleil (extrait) – de Parwin Pawjak
Née en 1967. Poétesse, professeure et artiste, elle vit au Canada, dans la ville d’Ontario. Plusieurs de ses textes ont été traduits et diffusés au Canada ainsi qu’en Iran.
Et
Juste là,
Le soleil est devenu froid.
Les étoiles sont tombées, se sont éparpillées
Sur la Terre
Brûlants gouffres profonds
Gouffres retentissants
Le vide
Ses cris d’angoisse.
Et maintenant :
L’obscurité.
Les feuilles de l’espoir tombent et se dispersent
Avec le vent
Les talents disparaissent
Inaccomplis
Les oiseaux massacrés
Dévorés
Les piles de livres
Consumées jusqu’à la cendre
Juste pour maintenir les maisons
Un peu plus chaudes.
Ici, les arbres bienfaisants ont été déracinés, leurs branches fines
Transformées en bâton pour battre les enfants
Ici, les pensées n’osent plus quitter
Les quartiers clos de l’esprit.
Toi qui n’a arraché
Aucune feuille à l’arbre de l’espoir
Construiras-tu un jour sur cet océan de ténèbres
Un pont de lumière ?
Ô vous, prisonniers de votre propre monde
Courrerez-vous, courrerez-vous un jour
Vers la lumière ?
« Je suis le soleil… » – Bahar Saeed
Née en 1953. Autrice et poétesse. Elle vit actuellement en Australie, où elle publie des textes expérimentaux, explorant les thématiques de l’exil, de la violence ou de la religion.
Ce voile ne peut me renfermer, tout comme mes cheveux – à cause d’un simple regard – ne me rendront pas nue.
Je suis le Soleil. Je scintille à travers le tissu des rideaux.
Ils ne peuvent éclipser ma lumière, pas plus que l’obscurité la plus sombre.
L’homme dévot ne me presserais pas tant de me voiler
S’il n’était pas si pieusement, si pieusement fragile.
O toi peuple du Pays de la Loi !
Dis-moi, en quoi mes cheveux te mènent à l’égarement ?
Je ne vois qu’absurdité dans ce que tu vends comme la sagesse ;
Toi qui m’as trompée, pourquoi brûlerai-je en enfer ?
Je refuse de faire pénitence, de baisser ma tête
De fléchir parce que tes propres jambes sont trop faibles.
Vous, hommes de Dieu ! Eloignez vos yeux de ma face
Allez et cachez votre faiblesse – Voilez, voilez votre foi flétrie
Seule – de Leila Rochani
Il n’y a personne ici
Il n’y a personne ici
L’oiseau est sans nid,
Le parc sans jardinier,
L’air sans oxygène
Et
L’espace
Sans
Miroir
Les fossés sont vides
De la vue des étoiles
Le soleil est un mirage
Qui ne bénéficie
Qu’aux égarés qui ont soif
Et la lune aussi
Est un étang vide
Sans eau,
Sans poissons.
Comment crier ?
Oh, mutisme,
Et qui demanderai-je
A l’unisson,
A la justice ?
La bonté est morte
La lune est morte,
L’eau est morte
Le puits est mort,
L’arbre a remis ses quatre saisons à l’oubli.
Le nuage,
Sa pluie,
Et le bleu sans fin
Son ciel,
Les yeux des étoiles sont flous,
La Voie Lactée est malade
Ici,
L’oiseau chantant est pendu
Et dans l’œil de l’étoile brillante, une épine.
Ici,
Le rêve des arbres, l’impatience,
Le songe limpide des sources, la sécheresse.
Ils rationnent l’air
Dont le prisonnier reste sans part.
Ici, il n’y a personne,
Ni soleil, ni lune.
On dirait que de mille années lumières
Tu es loin ma ville,
Kaboul.
Série de landay (poèmes courts) – poétesses anonymes pashtounes
Mais laisse libre ma langue pour te parler d’amour.
J’aime ! J’aime ! Je ne le cache pas. Je ne le nie pas.
Même si l’on m’arrache au couteau pour cela tous mes grains de beauté.
La nuit, la véranda est sombre et les lits trop nombreux
Le tintement de mes bracelets mon amour te dira le chemin.
Viens près de moi, mon amour,
Si la pudeur t’empêche de me frôler, moi, je t’attirerai dans mes bras !
Embrasse-moi au vif éclat de lune
Dans nos coutumes c’est en pleine lumière que nous donnons notre bouche
Viens m’embrasser sans penser au danger. Si l’on te tue, quelle importance ?
Les vrais hommes meurent toujours pour l’amour d’une belle
Reviens percé des balles d’un ténébreux fusil,
Je coudrai tes blessures et te donnerai ma bouche
Attention, tiens bon, ne perds pas courage !
Comme un rameau fleuri incliné sur la tête, je suis là près de toi.
Apprends à manger ma bouche !
Pose d’abord tes lèvres, puis force doucement la ligne de mes dents
Passe doucement ta main dans le creux de mes manches,
Déjà les grenades de Kandahar ont fleuri, déjà elles ont muri
Viens et sois une fleur sur ma poitrine
Pour que je puisse chaque matin te rafraîchir d’un éclat de rire !
Mon amour, viens vite le contenter
L’alezan de mon cœur a rompu toutes les brides
Serre-moi fort dans tes bras,
J’ai hanté trop longtemps la prison des solitudes
Ton amour, c’est de l’eau, c’est du feu,
Et des flammes me consument et des vagues m’engloutissent.
Ô coq retarde un peu ton chant
Je viens juste de rejoindre les bras de mon amant.
Donne-moi ta main mon amour et partons dans les champs
Pour nous aimer ou tomber ensemble sous les coups de couteaux.
Mon amour, jure de venir à moi,
Pour que je puisse, sur ton chemin, semer des fleurs.
Demain, les affamés de mes amours seront satisfaits
Car je veux traverser le village visage découvert et chevelure au vent.
Des bracelets à mes mains, un collier à mon cou,
Je pars avec mon bien-aimé, nous rentrons au pays.
J’ai libéré mes cheveux – de Roya Saberzada
Poétesse, artiste et militante, membre du collectif d’autrices afghanes Free Women Writers. Elle vit à Londres où elle achève des études de sciences politiques.
Je confie mes cheveux aux mains du vent
Qui peut les voir ou pas n’a plus d’importance,
Vous, qui ne cillez pas
En regardant la lapidation d’une femme,
Pourquoi mes cheveux vous font-ils perdre le sommeil ?
Je suis une femme ; faite de pierre
Et tuée par les pierres, sous vos yeux.
Je suis une fille, faite de terre
Foulée aux pieds, sous vos yeux.
Mes cheveux ne sont pas obscènes.
Les vautours qui tournoient autour de mon corps
Et de celui de mes sœurs défuntes
De Badakhshan à Helmand,
De Delhi à Rio,
Eux sont obscènes.
Cela n’a plus d’importance.
Laissez-moi.
Laissez le vent emporter ma chevelure au ciel
Que je puisse y goûter la liberté.
Cette femme n’endurera plus la burqa.
Vous, dont la conscience a été emporté par le vent
Laissez-moi confier ma chevelure à ses mains.
Une femme condamnée au silence – de Farida Azada
NB : Gawarshad Begum (morte en 1457) fût une impératrice et régente de l’empire timouride. Très cultivée, sa cour fût l’épicentre d’une renaissance culturelle et attira nombre d’artistes, de poètes et de philosophes. Rabea (ou Rabia) de Balkh (ou Balkhi) est une poétesse du Xe siècle, qui fût l’une des premières à écrire en persan moderne et qui reste très populaire encore aujourd’hui pour ses poèmes d’amour.
Je suis une femme, pleine de mots indicibles, de larmes refoulées
Ma peine est plus vaste que le monde
Son poids me tue à petit feu
Mais chaque jour, je me tiens plus droite que jamais
Je suis une femme
Accusée de crimes qui n’ont pas été commis
Condamnée au silence, enfermée à la maison,
Je parle pourtant toujours haut et fort.
Les gens ne perçoivent de moi que mon apparence
Personne ne voit rien de mon agonie
Comme il est épuisant de porter le poids de l’inégalité
Evidemment une société oppressive tient l’oppression pour naturelle
Ils ne me laissent pas être ce que je suis
Craignant ce que les gens vont dire
Que va-t-il arriver à notre réputation ?
On nous prive de notre liberté au nom de l’honneur
Au nom du « qu’en-dira-t-on »
Mais les femmes ne font-elles pas partie de ce peuple ?
Ne sommes-nous pas une partie de cette société ?
Dans cette société
Je suis une mère, une sœur, une épouse, une fille
Je suis une déesse, un joyau, une perle,
Je suis ceci et cela
Mais personne ne me reconnaît en tant que personne,
En tant qu’humaine
Combien j’ai aspiré longtemps à entendre ce mot
Mon rire est le son de la rébellion
Je suis une femme
De la tribu de Gawharshad Begum
Du sang de Rabia.
J’ai le droit d’être l’égale, de choisir,
De m’exprimer, de protester,
D’être en sécurité, d’avoir la garde des enfants
De travailler, de faire des études,
Et de choisir comment je m’habille.
Je suis une femme, une personne.
Je ne suis ni faible, ni ‘simple d’esprit’.
Je suis une femme d’un pays
Où les chants et les rires des femmes sont interdits
Afin d’éviter que les hommes ne se sentent pêcheurs
Mais je suis une femme libre.
Je détruirai cette prison.
Je penserai par moi-même.
Je rirai comme je le veux.
Mon rire n’est pas un signe de petite vertu.
Ce rire est une rébellion contre l’oppression.